Les juke joints, berceaux du blues

Living quarters and "juke joint" for migratory workers, a slack season; Belle Glade, Fla. Wolcott, Marion Post,1910-1990, photographer. 1941 Feb.

D’un cendrier en métal pâtiné par le temps s’échappe une fumée de cigarette. L’odeur de tabac se mêle aux notes boisées de whiskey et de bière qui exhalent du plancher. L’atmosphère est chaude, moite. Les sons diatoniques d’un harmonica accompagnent les corps qui se déhanchent voluptueusement les uns contre les autres. Les murs, chargés d’affiches et de photographies jaunies par le temps, entourent la pièce de vieilles histoires passées. Les cordes d’un piano résonnent avec celles d’une guitare 12 cordes que des mains expertes manipulent avec passion. Un chant fiévreux, mélancolique, ponctue la musique de mélodieux silences. À travers les sillons que l’humidité a dessiné sur les fenêtres, des rayons de lumière balayent furtivement le regard de ceux qui, restés assis, contemplent religieusement ce spectacle. Des éclats de rire et bribes de conversations jaillissent de ce qu’on appellera plus tard un “Delta blues”.

Vous n’êtes ni dans un saloon, ni dans une maison close, mais bel et bien dans un juke joint du début du XXe siècle…

Jitterbugging in Negro juke joint, Saturday evening, outside Clarksdale, Mississippi Wolcott, Marion Post, 1910-1990, photographer. 1939 Nov.

Aussi connu sous le nom de “Barrel house” car certaines ayant été, d’après la légende, construites en bois de vieux barrils, les Juke joints virent le jour dans les ruralités du sud-est des États-Unis, entre le XIXe et le XXe siècle.

Ces vieilles barraques, construitent aux abords des plantations de coton, de tabac ou de sucre, servaient à l’origine de refuge aux populations d’esclaves qui travaillaient les exploitations agricoles du sud-est des États-Unis.

VIEW LOOKING FROM THE EAST - Bubba's Juke Joint, 3410 Louisiana State Highway 484, Natchez, Natchitoches Parish. Documentation compiled after 1933; 2004

Peu de temps après que l’esclavage soit abolie en 1865, la communauté noire, exclue des bars réservés à la clientelle blanche, se regroupait dans ces maisons pour boire un verre, jouer aux cartes, danser et écouter de la musique. On leur donna le nom de Juke joint, en écho à l’ambiance qui y règnait, le mot “juke” faisant référence au mot “joog” ou “jug” qui signifit désordre, chahut en Gullah, un dialecte créole.

Saturday afternoon in a negro beer and juke joint, Clarksdal. November 1939. The New York Public Library. Schomburg Center for Research in Black Culture. Photographs and Prints Division.

Les murs étroits des juke joints ont été en quelques sortes les premiers témoins d’un style musicale émergent qui, par sa maîtrise, sa puissance et son originalité s’est exporté au delà de ces parois, vers une scène plus large. C’est en effet dans ces lieux plus ou moins informels qu’à commencer à naître le Blues.

Pour ne citer que quelques pionniers du blues qui ont fréquenté les juke joints, nous pourrions parler de la talentueuse compositrice, interprète et guitariste Memphis Minnie (1897-1973), qui a su se forger une place en temps que guitariste et chanteuse de renommée malgrès un monde largement dominé par les hommes dans ce domaine.

Memphis Minnie, Memphis, 1950 - Michael Ochs Archives

Deux autres légendes du début du XXe siècle que nous pourrions citer sont Lead Belly (1888-1949) et Muddy Waters (1913-1983).

Le blues aura une profonde influence dans le monde de la musique. On retrouve dans le rock’n’roll de nombreux morceaux qui empreintent les paroles et retravaillent les airs de vieilles musiques blues. Les titres “My girl where did you sleep last night” de Nirvana ou “House of the rising sun” de “The Animals”, sont des reprises de musiques composées et interprétées par Lead Belly.

Quand aux titres “I just want to make love to you” ou “Hoochie Coochie” interprétés à l’origine par Muddy Waters ont été respectivement repris par les légendes du rock “The Rolling Stones” et “The Jeff Healey Band”.

Huddie Ledbetter (Leadbelly) taken by Alan Lomax. 1940

Muddy Waters 1976.

Si la musique et le chant résonnaient déjà dans les plantations lors du travail forcé des esclaves, les Juke Joints ont permis de cristalliser la naissance d’un genre musicale qui aura par la suite une influence considérable dans le milieu de la musique populaire.

The New York Public Library. Schomburg Center for Research in Black Culture. Photographs and Prints Division. 1939

Quelques Juke joints subsitent encore aujourd’hui, la musique y est toujours présente, elle n’est plus forcément live car beaucoup de dj viennent maintenant animer les soirées. Ces “barrel house” sont plus le reflet d’une époque passée que l’illustration de ce qu’on aurait pu connaître à la fin du XIXe siècle. Des lieux sacrés vestiges d’un temps passé.

Po Monkeys Juke Joint - bobpalez, May 22, 2016

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