Le Swing, la pulsation émancipatrice

Une naissance sur les champs de bataille.

C’est à la fin du XIXème siècle, pendant la Guerre de Sécession (1861 à 1865) – opposant les états du sud des Etats-Unis, agricoles et esclavagistes, à ceux du nord, industriels et anti-esclavagistes - que le jazz né au sein de la communauté noire afro-américaine.

Par le biais des fanfares militaires, les esclaves accèdent aux instruments de musique de la classe possédante blanche, notamment les instruments à vent et à anche. Au sortir de la guerre, les prix s’effondrent rendant l’achat d’instruments accessible à la population pauvre. Les conditions matérielles sont alors réunies pour faire émerger une nouvelle musique portant en elle les revendications et désirs d’une population afro-américaine, libérée.

Un rythme libertaire.

Le swing est la réconciliation entre ce qu’appelle Stravinsky le temps ontologique, c’est-à-dire le temps mesuré, objectif et le temps psychologique, soit le temps de l’émotion, du subjectif.

Duke Ellington et ses musiciens, Aquarium, New York, 1946. Photo de William Gottlieb. Library of Congress.

Je vois vos sourcils froncés et entends vos pensées :

«Pardon ? Le temps onto-quoi ? »

Plus simplement, dans un rythme binaire, chaque temps est indiqué par une note dite « noire », elle-même composée de deux croches. Chaque croche dure 50% d’un temps. La durée musicale est donc découpée en tranches homogènes, égales, toujours identiques.

En revanche, le rythme binaire swingé/ternarisé impose aux croches un rythme inégal. La première dure 66% d’un temps et la deuxième 33%.

Nous voilà donc face à une faille rythmique qui donne toute la beauté au swing : chaque musicien ou groupe de jazz va alors placer son curseur de manière subjective et prendre des libertés rythmiques. Certains suivront un rythme 66/33, d’autres encore 60/40…

C’est pourquoi, dans son essence même, le swing est libertaire, tant il est imprévisible et mouvant.

Un rythme étendard.

Le philosophe marxiste Michel Clouscard expose dans Le capitalisme de la séduction (1981) son analyse quant aux rythmes musicaux et plus spécifiquement à l’opposition entre rock et swing. Il y critique la duplicité du rock : « alors qu’il se prétend révolte et subversion, il n’est que soumission à l’ordre capitaliste ». Selon lui, la soumission réside dans un rythme répétitif rappelant les cadences du travail à la chaîne. Rythmes répétitifs et identiques qui assureraient le règne du « Même » et empêcheraient la rencontre avec « l’Autre ».

Par ses balancements, ses oscillations, ses imprévus, le swing laisse alors la porte ouverte à cet Autre, s’émancipant d’un rythmé répété et figé pour laisser place à un ressenti, à une émotion à la fois subjective et collective.

Il est intéressant d’observer que dans les systèmes totalitaires, le jazz sera interdit tout comme il sera marginalisé dans les systèmes capitalistes. Ce n’est donc pas un hasard si le swing est une création afro-américaine; une musique anti-impérialiste en cela qu’elle crée un dialogue entre émancipation et cadre.


Sources :

La guerre de sécession, Léon Lemonnier, Gallimard, 1943

Le capitalisme de la séduction, Michel Clouscard, Messidor-Éditions sociales, 1981

Apprendre à faire l’Amour, Alexandre Lacroix, Champs Flammarion, 2022

Swing Ratios and Ensemble Timing in Jazz Performance, Music Perception : An Interdisciplinary Journal (vol.19), Anders Friberg & Andreas Sundström, 2022

Principes basiques du Jazz, Benoit Vincenot, Be'swing, 2022

Musiques transgressives, Fabien Tremeau, Mythes Imaginaire Société (s.d)

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